viernes, 7 de noviembre de 2014

Une science de la culture? Une science sémiologique?

Dans la définition qu’il donne d’une langue, Martinet fait référence à l’expérience humaine «qui s’analyse différemment selon chaque communauté» . Cette notion d’expérience humaine est à comprendre comme rapport des hommes au monde dans lequel ils vivent et auquel ils réfléchissent, le monde tel que les hommes le perçoivent et se le représentent. On est sans doute proche ici du mécanisme que décrit Cassirer sous le terme «culture humaine» qui selon lui peut être définie comme l’objectivation progressive de notre expérience humaine –comme l’objectivation de nos sentiments, nos émotions, nos désirs, nos impressions, nos intuitions, nos pensées et nos idées (Cassirer 1995: 148). Ce qui intéresse proprement la linguistique est qu’il s’agit d’une expérience dont les hommes disent quelque chose à l’aide d’objets abstraits (les signes linguistiques, les relations entre ces signes…) qui appartiennent au domaine de la représentation. On sait, par les plus anciens récits de voyage autant que par les travaux en sciences sociales, que ce rapport au  monde n’est pas symbolisé de la même manière par les différentes populations autour du globe. On a appris aussi que cette expérience s’exprime linguistiquement de manière très variable. Cette diversité résulte de ce que les langues ne s’identifient pas aux réalités qu'elles représentent. Ce fait fondamental va au-delà de la différence de nomenclatures (des étiquettes différentes pour les mêmes phénomènes, perçus de la même façon). Le rapport conventionnel entre catégories linguistiques et éléments d’expérience implique la possibilité d’une analyse différente de l’expérience selon les langues. Exprimer une expérience dans une langue donnée, c’est analyser et reconstruire cette expérience selon les catégories et les habitudes propres à cette langue. C’est pour cela que les langues peuvent être conçues en tant que réalités culturelles qui associent constamment les composantes conceptuelles et linguistiques. On constate en effet qu’elles possèdent les caractéristiques généralement reconnues aux faits culturels (voir entre autres, Mead 1971, Bourdieu 1979) : il s’agit d’activités soumises à des normes socialement et historiquement différenciées; il s’agit de modèles de comportement transmissibles entre générations dans un contexte de communication sociale ; jusqu’à un certain point, elles sont propres à des groupes sociaux déterminés (mais les langues voyagent avec les migrants et les conquérants, des groupes sociaux différents partagent les mêmes habitudes linguistiques, les frontières politiques ne recoupent pas les frontières linguistiques, etc.). 
Les langues –ce que nous reconnaissons comme langues conformément à une définition précise–, se présentent ainsi à nous comme une activité essentiellement sociale, mais d’un caractère particulier, puisqu’il s’agit spécifiquement d’un procès de production sémiologique au sein de pratiques sociales diversifiées (ce que l’on qualifiait plus haut de classe particulière de comportements humains). Si l’on accepte ce constat, il faut penser la linguistique comme une branche spécifique des sciences sociales, traitant d’un type particulier de rapport symbolique des hommes au monde, trouvant sa place au sein d’une science sémiologique, comme le suggérait Martinet (1989), fidèle en cela au projet saussurien de «science des signes au sein de la vie sociale». Plutôt qu’avec la géologie ou la physique, la linguistique est «on a par» avec la sémiologie, la musicologie, l’iconologie, la chorégraphie… les autres composantes de la «fédération sémiotique» 
qu’évoque Rastier (2001).

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