viernes, 7 de noviembre de 2014

Etude du signifié

L'étude du signifié dans le cadre de la linguistique fonctionnelle est tardive. Non que lesfonctionnalistes n'aient pas reconnu la nécessité d'une telle étude, ni qu'ils aient cru aux vertus magiques de l'examen du signifiant seul, qui mettrait en lumière la structure du signifié. Le signifié a toujours été considéré, dans ce cadre, partie intégrante de tout système linguistique.
Dès lors, toute étude des signes linguistiques ou de sa face signifiante est incomplète tant que la description de la face signifiée n'aura pas été achevée, et implique une approximation qui la rend provisoire. Si j'admets l'existence de deux phonèmes /p/ et /b/ en français, je pars de l'idée que deux séquences phoniques comportant—toutes choses égales d'ailleurs—l'une le son [p] et l'autre le son [b] ont deux signifiés différents. Et dans le cas contraire, je considère deux sons (par exemple [rJ et [ ]) comme phonologiquement identiques, puisqu'ils ne sont pas susceptibles de distinguer des séquences ayant pour contrepartie signifie deux éléments différents. L'identité phonologique de [r] et [ ] ainsi que la différence phonologique de /p/ et /b/ sont donc fondées sur l'identité ou la différence d'éléments de signifié. Ce qui, préalablement à une étude du signifié, n'est pas acquis. 
Les débuts tardifs de l'étude du signifié sont dus aux difficultés inhérentes à la substance et l'organisation du sens. Du point de vue de la substance, on notera d'abord que les faits de sens ne sont pas — à la différence de la substance du signifiant — directement observables; ou du moins ils ne le sont que dans de rares cas. Dans l'étude du signifié manquent les facilités dont jouit le descripteur quand il s'occupe du signifiant: l'observation directe de la substance (phonique, par exemple) permet decommencer par une description physique et de l'élaguer ensuite de phénomènes fonctionnellement non pertinents pour arriver à une description phonologique. De ce fait, le parallélisme est rompu entre l'étude du signifiant et celle du signifié. Si l'on définit le sens concret d'un énoncé comme l'intention du locuteur et ce qu'en perçoit l'auditeur, il ne semble pas y avoir d'autres moyens pour y accéder que le recours à l'intuition du sujet parlant. Or, ce recours nous livre des indications tant sur la nature substantielle du sens que sur sa valeur fonctionnelle. On sait que l'intuition du sujet parlant est bien plus conditionnée par la fonction que par la nature physique des unités. Le décalage entre l'intuition de l'informateur et la description physique permet, dans le domaine du signifiant, de faire le tri entre le pertinent et le non pertinent. Il n'en est rien dans le domaine du signifié, étant donné l'impossibilité d'observation directe du sens. De cette impossibilité d'observation directe découle aussi l'indétermination des dimensions sur lesquelles peut varier le signifié. Au niveau du signifiant —phonique, toujours —, la substance varie suivant un nombre limité de dimensions : fréquence, intensité et durée en acoustique, ou forme et position des organes phonateurs en phonétique articulatoire. Qui peut prétendre énumérer avec quelque précision les dimensions de la substance sémantique ?

Du point de vue de sa structure, le signifié présente une complexité bien plus grande que le signifiant. D'abord parce qu'il n'y a pas de commune mesure dans l'inventaire des unités des deux ordres. Qu'on compare les quelques dizaines de phonèmes aux quelques milliers de monèmes dont le signifié est à définir en terme de traits sémantiques pertinents. Il est certes plus facile de dégager les traits qui distinguent quelques dizaines d'unités que ceux qui sont à la base de la distinction des milliers d'unités. La même disparité existe entre les traits pertinents des deux domaines; au point qu'on ne peut donner un ordre d'idée du nombre des traits sémantiques qui seraient nécessaires à la définition des monèmes français.
Le nombre des unités a une importance non négligeable dans la structuration d'un système. Si la connaissance d'une langue s'acquiert par la pratique, il va sans dire que plus un inventaire est limité, plus les phénomènes qui en relèvent ont de chance d'être fréquents, plus ils sont faciles à manier; en un mot mieux ils sont structurés. De la taille de l'inventaire résulte un autre type te complexité dans l'étude du signifié : la
variation considérablement plus importante qu'en phonologie, qu'il s'agisse de variantes contextuelles ou de variantes sociales. En axiologie, les variations sont si importantes qu'il est très difficile sinon impossible de trouver des cas où une analyse du signifié fasse unanimité parmi les sujets parlants, et vaille pour tous les contextes où le monème (ou séquence de monèmes) apparaît. Ignorer ces variations au nom d'une distinction entre structure et usage n'est certes pas une solution, mais bien la preuve qu'une telle analyse n'est pas capable de rentre compte de tous les phénomènes concrets.

Au vu de cette complexité, il parait judicieux de procéder à l'examen du signifié après celui du signifiant et du signe. Ne serait-ce que parce que l'étude du signifié se fonde sur les résultats acquis par la description des autres domaines; notamment les résultats de la syntaxe, où l'on prend en compte le signifié sans en tenter une description exhaustive. Mais aussi parce que des descriptions phonologiques et syntaxique on peut et doit tirer des conclusions et sur la procédure à suivre dans l'analyse du signifié, et quant aux résultats de cette analyse. Comme on voit dans les contributions consacrées au signifié, les fonctionnalistes font d'abord
une distinction entre ce qui dans le sens est pertinent, et ce qui ne l'est pas ou ne l'est qu'épisodiquement. Ceci est particulièrement manifeste dans les propositions terminologiques d'André Martinet qui distingue axiologie et sémantique; distinction parallèle à celle de phonologie et phonétique sur le plan du signifiant. Dans les travaux sur le signifié, les deux directions sont présentes: on met plutôt l'accent d'une part sur les rapports entre le signifié et l'expérience extra linguistique de façon générale, et d'autre part sur les relations des unités signifiées les unes par rapport aux autres, dans le cadre d'une langue donnée. Le débat actuel en linguistique fonctionnelle porte notamment sur l'intérêt et l'efficacité des deux voies de reche.

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